S’il est un point commun aux gamers de tous pays et de tous âges, il réside dans la fonction première du jeu vidéo qui est de nous divertir en nous offrant du plaisir. Devenu progressivement une industrie colossale, le secteur vidéoludique s’acquitte de sa tâche depuis près de trente ans tout en s’adaptant à la surenchère technologique proposée par les fabricants de hardware et plébiscitée par le public. Mais si la forme des jeux vidéo a énormément évolué, qu’en est-il du fond ? Peut on réellement parler de contenu idéologique ou bien le jeu vidéo se cantonne-t il à son rôle primaire de divertissement ?

D’origine plutôt casual (je sens que je vais me faire des ennemis, mais si vous êtes justement passionnés, rappelez-vous des hits de l’Atari 2600 et autres dinosaures vidéoludiques…), le jeu vidéo revêt aujourd’hui une dimension bien plus vaste que la seule résolution de puzzles ou l’enchaînement de plateformes. Les progrès accomplis ces vingt dernières années ont été spectaculaires. Outre la dimension graphique, les évolutions de gameplay, mais aussi de mises en scène se rapprochant du cinéma ont fait franchir au jeu vidéo la frontière séparant un phénomène réservé à une minorité de passionnés vers un média de masse. Des styles de jeu différents ont vu le jour : stratégie en temps réel, jeu de rôle, d’aventure, de gestion ont permis d’ajouter à l’ambition ludique une dimension plus intellectuelle. Faire marcher ses petites cellules grises pour résoudre des énigmes, s’immerger dans des mondes virtuels fantastiques en trois dimensions, commander un escadron d’infanterie, gérer un avatar voire une ville, une nation ou un empire sont venus compléter la simple dextérité et les réflexes du gameplay de base.

Bien joué, c’est toi le meilleur !

Malgré cette évolution, il faut reconnaître que rares sont les jeux qui distillent autre chose qu’une émotion liée au plaisir du divertissement pur. Il est vrai que le fait de jouer peut difficilement se concevoir si l’on écarte les notions d’émerveillement, de compétition et de dépassement de soi qui constituent l’âme de tout jeu. Et c’est précisément sur ce registre émotionnel intimement lié à la pratique du jeu que les industriels vont cibler leur politique de développement. Or l’un des moyens les plus efficaces et les plus usités pour vous faire plaisir est tout simplement de vous flatter. On va vous cirer les pompes, vous brosser dans le sens du poil, vous abreuver de compliments comme il y a très peu de chances que cela ne vous arrive dans votre vie réelle !

La technique est simple, efficace et répétitive : il va vous être permis d’incarner un personnage hors du commun. Dans les jeux guerriers par exemple, vous faites partie de l’élite (marines, commandos, bref le maniement des armes n’a aucun secret pour vous…). Et si vous commencez avec des aptitudes au ras des pâquerettes (comme dans la plupart des RPG), les développeurs se chargent de faire évoluer rapidement votre avatar du statut de bouseux à celui de héros que tous les villageois respectent et idolâtrent. Aucun style de jeu n’est épargné : incarnez un sportif de haut niveau que le monde adule aussi bien qu’un leader charismatique et visionnaire menant son peuple à la prospérité. En ne cessant de valoriser votre moi idéal dans un cadre connu et sécurisant (les mondes virtuels répondent aux valeurs connues des mondes réels), les industriels assurent leur chiffre d’affaires. Séduire le client pour lui vendre ses produits, plan marketing si banal et pourtant diablement efficace ! C’est d’ailleurs une prouesse car à l’origine le jeu est étranger à la logique de rentabilité. Si l’on met de côté les jeux d’argent, jouer est dénué d’intérêt matériel. Par essence, un jeu est improductif. Il ne produit aucun bien, aucune richesse. Même les jeux d’argent ne font que transférer des richesses d’un côté à un autre sans rien produire. Pour nous gamers, il est clair que la durée de vie et l’intérêt des softs nous entraîne à une surconsommation et le trou dans notre porte monnaie, lui, n’est pas virtuel.

Bon, je ne vais pas le nier, il est agréable, voire jouissif d’enfiler le costume de super héros virtuel mais si c’est pour vivre une aventure ô combien simpliste, la répétition du phénomène risque d’en lasser plus d’un. Et à ce niveau, on constate que les industriels ne font guère d’efforts. En témoigne la pauvreté scénaristique de la trop grande majorité des softs. Même si la comparaison avec le cinéma est peu pertinente, les scénarii proposés par les jeux vidéo dépassent rarement la densité d’un film de Jean Claude Vandamme ! Il est dommage que les développeurs n’exploitent pas pleinement le potentiel du jeu vidéo afin de nous offrir des œuvres riches et denses qui chatouilleraient certaines parties de notre cerveau jusqu’alors ignorées par ce media numérique. Si certains osent élever le jeu vidéo au rang d’art, c’est plus par une approche esthétique qu’idéologique. Or l’art se doit de déranger ce qui est enfoui au fond de nous même, il doit bousculer nos préjugés, nos valeurs et ouvrir de nouvelles perspectives nous permettant de nous enrichir. On s’aperçoit que les industriels du jv sont plutôt à l’opposé de cette démarche.

Le monde virtuel, simple reflet de notre monde réel

En parallèle, on peut également se poser des questions quant à la diversité de représentations du monde réel que nous offrent les jeux vidéo. Il semblerait que là encore les industriels se cantonnent exclusivement à reproduire dans leurs œuvres le reflet de notre système néolibéral. Le culte de la performance individuelle (au détriment du processus collectif) est en effet une valeur constante, tout autant que la collecte et l’accumulation de richesses (que cela soit par le biais d’items ou de compétences) ainsi que l’esprit de compétition. Le nouveau phénomène des jeux en ligne n’est pas épargné : le mode Deathmatch (que l’on pourrait traduire par « chacun pour sa peau jusqu’à la mort ») prédomine sur les Live. J’entends déjà les accrocs des MMORPG hurler que la coopération dans les mondes virtuels en ligne est primordiale. C’est certes vrai mais parce que tous les joueurs ont succombé à ce style particulier de jeu. De plus, ces univers reposent sur les mêmes bases sociétales et économiques que notre monde réel (guerre, commerce, compétition, prédominance de l’individualisme…). Là encore les schémas du libéralisme sont reproduits.

La véritable question réside dans le fait de savoir si cette image néolibérale associée à une vision du monde géopolitique américanisée que colportent allègrement les jeux vidéo résulte d’une manipulation d’ordre idéologique de la part des industriels. En langage clair, on se demande si les gros méchants industriels manipulent le cerveau des gentils joueurs afin que ces derniers soient décérébrés au point de ne plus fomenter la moindre rébellion. Rester assis des heures devant son écran à faire évoluer son avatar éteindrait les braises révolutionnaires…

Désolé de décevoir les adeptes des théories de complots en tous genres, mais il semblerait que les préoccupations de ces multinationales du jeu vidéo, tout comme pour le cinéma d’ailleurs soient d’ordre purement économique. On se fait l’écho de l’idéologie dominante pour plaire au plus grand nombre, tout simplement. Cela ne doit pas éclipser le fait que la portée de ce nouveau média intéresse certains lobbys tout autant que les pouvoirs publics. Enjeux politiques, économiques, sociaux et militaires influenceraient-ils le contenu des jeux vidéo ? Comme tout média, les jeux vidéo peuvent servir de support à une propagande exercée par des groupes de pression (clic et clic).

Il est toutefois très clair que les industriels du secteur sont présents sur ce colossal marché uniquement pour faire du profit. Et pour plaire au plus grand nombre sur un marché aux dimensions internationales, l’industriel voulant vendre un maximum de copies a intérêt à ce que ses produits ne recèlent aucun contenu politique, social ou culturel pouvant choquer une partie de la clientèle. Il y a déjà eu quelques ratages entraiîant un manque à gagner: « Return to Castle Wolfenstein » fut par exemple interdit en Allemagne. Les symboles nazis n’ont pas le même impact aux USA où fut développé le jeu que dans le pays berceau du 3ème Reich ! Même s’il est peu probable de ne froisser personne (« Football Manager » a été interdit en Chine car présentant le Tibet comme un pays indépendant !), la tendance à la standardisation des produits est de mise et on peut d’ores et déjà constater une perte d’identité du jeu vidéo. Il y a quelques années encore les jeux de guerre proposaient des relents de guerre froide : le Bien était représenté par les Etats Unis (cela perdure aujourd’hui) et le Mal par l’URSS, la Chine ou la Corée du Nord. L’effondrement du bloc de l’Est a permis aux deux camps de se trouver un ennemi commun : le méchant terroriste, souvent bronzé, barbu, révolutionnaire et fanatique. Une fois de plus, les industriels se complaisent dans la facilité. Réduire la complexité du monde géopolitique actuel à un simple conflit du Bien contre le Mal ne rend sûrement pas service aux joueurs même si cela leur permet de s’amuser sans se prendre la tête. Scénarii simplistes, vision réductrice du monde, tout concorde à ne pas trop remuer les méninges des joueurs pour le plus grand bien de la consommation de masse.

Le jeu vidéo trop consensuel ?

On peut répondre par l’affirmative sans trop d’hésitation. Certains titres subversifs ont tout de même vu le jour. Plus la peine de présenter GTA, la série phare du jeu immoral et subversif. Vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde, le joueur peut enfin outrepasser les règles du monde qui l’entoure. Quoique…il est toujours question de faire de l’argent et la loi reprend le dessus car cela se finit souvent au commissariat. Ces jeux offrent donc une rupture avec le politiquement correct ambiant. Mais est-ce vraiment une expression d’une idéologie contestataire ou bien une récupération commerciale ? Aux vues des chiffres de vente de GTA IV, on peut conclure que le « politiquement incorrect » fait vendre.

Seul lieu échappant vraiment à la main mise des industriels : Internet. L’apparition de jeux flash dits « militants » est récente et peut contribuer à une prise de conscience de l’opinion publique. Pour exemple le jeu ICED (I Can End Deportation) vous place dans la peau d’un clandestin devant échapper aux contrôles de la police d’immigration américaine. Edité par l’association de promotion des droits de l’Homme Breakthrough, ce jeu tend à dénoncer les pratiques arbitraires de l’administration américaine vis-à-vis des immigrés. Mais ce genre de démarches se perd au milieu des jeux à tendance xénophobe et extrémistes qui foisonnent sur la toile. Encore une fois les raisonnements simplistes font mouche auprès du grand public.

Attention, la réflexion peut nuire à la consommation de masse La stratégie des industriels peut donc se résumer ainsi. Maintenir la réflexion et par la même occasion la prise de conscience au niveau le plus bas afin de satisfaire le besoin primaire de jouer et ainsi d’écouler le maximum de marchandises. Le plaisir doit être immédiat et sans contrepartie. A ce titre, nombre de hardcore-gamers critiquent vivement la tendance qu’ont les éditeurs à privilégier des softs à la facilité déconcertante.

Les jeux vidéo affichant une ambition autre sont rares et de ce fait ils sont entrés au panthéon des jeux cultes (citons entre autres Deux Ex, Shenmue, Ico, Fallout et dernièrement Bioshock, à vous de compléter la liste !). Leur point commun (si ce n’est le fait que la plupart n’a pas rencontré un franc succès lors de sa sortie) est d’offrir au joueur une dimension supplémentaire à celle du simple amusement. L’univers de ces jeux est particulier et novateur et l’expérience de jeu s’en trouve soudain enrichie. On se penche sur soi même et on en ressort comme grandi par le fait d’avoir vécu ces aventures hors du commun. Même si certains datent et sont dépassés aux vues des critères graphiques actuels, les gamers continuent de s’y adonner. On peut en conclure que finalement, le fond prédomine sur la forme.

Pris dans la spirale mercantile, les concepteurs n’ont pas d’autre choix que de sacrifier leur esprit contestataire sur l’autel de la rentabilité. A l’opposé du milieu musical et cinéphile où fleurit une culture underground, les coûts de développement colossaux associés aux nouvelles technologies garantissent la main mise des industriels sur le marché du jeu vidéo. La catégorie Indé est inexistante dans les rayons et c’est bien dommage.

Gamers de tous horizons, unissez-vous !

Alors, pourquoi pas une Internationale des gamers ? Nous sommes demandeurs de jeux de qualité nous faisant vivre des expériences nouvelles tant au niveau des émotions que de la réflexion. Les jeux vidéo constituent une chance extraordinaire de pouvoir nous élever spirituellement. Imaginez un film de Stanley Kubrick dans lequel vous pourriez évoluer et interagir ? A ce jour, rares sont les grands cinéastes, écrivains et penseurs à s’être penchés sur le phénomène du jeu vidéo. Il serait temps que des ponts soient édifiés entre ces cultures afin que les industriels financent des projets de créateurs inspirés et indépendants reconnus grâce à leur talent.

Ne vous méprenez pas sur mes intentions, je ne suis pas en train de dézinguer l’univers des jeux vidéo. Je suis tombé dedans étant tout petit et j’aime jouer encore aujourd’hui. Je souligne seulement le fait que les jeux vidéo pourraient nous offrir tellement plus qu’un simple divertissement. J’aimerais un jour entendre le témoignage d’une personne déclarant « Ce jeu a changé ma vie ! ». Allez, bon jeu à tous ! Et promis, le prochain article traitera des bienfaits des jeux vidéo